Le Bleu dans la Nuit
d'après L'Homme qui Rit de Victor Hugo
Note d’intention
Protégez qui vous aime, donner la nécessité à qui vous donne les étoiles, il n'est rien de plus doux.
Victor Hugo
Cela fait maintenant plus de cinq ans que j'ai découvert L'Homme qui Rit de Victor Hugo et depuis, cette œuvre m'obsède, m'aide à penser le monde et surtout me bouleverse encore et encore. C'est avant tout cette émotion sensorielle, spirituelle et intellectuelle que j'ai envie de partager. Je crois profondément qu'il est nécessaire de traverser au moins une fois dans sa vie l'écriture de Victor Hugo puisqu’elle fait écho encore et toujours à notre monde d’aujourd’hui. Raconter cette histoire est important, car grâce aux personnages et aux aventures qu'ils traversent, elle reflète nos comportements, nos paradoxes et nos combats. Le fléau de la misère n'a jamais disparu, celui de la guerre n'a jamais cessé, les êtres humains n'ont jamais abandonné leur désir de domination et leur soif de pouvoir. La fraternité, l'égalité et la liberté sont perpétuellement en lutte. L'injustice remporte sur la justice et le monde est tenu d'une main de fer par ceux qui détiennent les richesses. Raconter l'histoire de L'Homme qui Rit c'est aussi et surtout raconter la tragique et bouleversante histoire d'amour entre Gwynplaine et Dea. Deux enfants miséreux, qui se sauvent mutuellement, l'un est monstrueusement défiguré, l'autre est aveugle.
Alors qu’ils pourraient trouver le bonheur avec Ursus, ce père adoptif qui les recueille, l’étau social les compressera. Ce système construit sur les inégalités ainsi que le mirage de l’ascension sociale les séparera et finira par tuer Dea et Gwynplaine.
En mettant en scène cette œuvre, je défends un théâtre de troupe, pour tous, exigent, poétique, et social. Je crois profondément que nous avons besoin de propositions qui tentent avec panache et lyrisme de transmettre de la beauté, de la poésie, de l'envolée et de l'espoir. Alors pourquoi ne pas adapter le roman qui m'a provoqué un bouleversement sismique intérieur. Je veux proposer un geste entier, pur, brut et généreux. Rassembler une troupe et jouer partout, sur les places des quartiers, des villages, des centres villes, dans des théâtres, des salles des fêtes, sur des parkings, faire raisonner la langue d'Hugo comme un cri, un cri de désespoir porteur d'espoir.
« Le genre Humain est une bouche et j'en suis le cri », harangue Gwynplaine à la chambre des Lords. Je crois que tant qu'on peut crier ou que quelqu'un peut le faire à notre place, c'est que le combat n'est pas fini et que la lutte continue. Partager ce texte, c'est partager une pensée humaniste guidée par l'espérance. Cette petite fille qui avance vers l'avenir, et transmet un élan vivant, joyeux et généreux qui nous rassemble.
Avec ce spectacle, je me demande et pose plusieurs questions : comment continuer à croire, à vivre, à aimer et à se battre pour la joie, l'amour, l'équité et l'Humanité ?
Est-ce que l'ascension sociale existe vraiment ? Ne faut-il pas se trahir et se transformer pour monter les échelons de la société ? Est-il possible de renverser l'ordre établi sans catastrophe Humaine ? Est-ce que la folie du pouvoir est une composante irrémédiable de nos Humanités ? Pouvons nous y échapper et à quel prix ? Qui crée les monstres ? Qui sont les véritables monstres ? Comment sont-ils créés ? Comment pouvons nous encore supporter de voir et de savoir des enfants à la rue, sous les bombes, vendus, mis en esclavage, coincés dans des trafics ? Les enfants sont le monde de demain, l'Humanité de demain, tuer l'enfance avant même qu'elle ne puisse dire bonjour, c'est laisser la mort et la nuit sans étoiles, entrer dans les âmes et les corps. Pourquoi racontons-nous toujours les mêmes histoires ? L'Humanité est-elle amnésique ? Avons-nous oublié que nous sommes et pouvons aussi être valeureux, aimants, bons et beaux ?
L'art est un moyen de nous rappeler que nous sommes et pouvons aussi être une beauté de la nature, Nature qui finira pas nous dévorer tout cru. Alors tant que nous le pouvons, créons des feux chauds et chaleureux pour se réunir autour, créons des espaces où se rassembler, partageons nos histoires en affrontant notre tragédie Humaine, pleurons et rions ensemble pour se rencontrer et tenter de sortir de l'ignorance et de la haine.
Juliette Gharbi